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Peut-on être islamiste en France?


Qu’est-ce que l’islamisme ? C’est la question que je pose : « Peut-on être islamiste en France ? ». Peut-on, dès lors ou l’on adhère à une idéologie politique d’inspiration islamique, et dès lors ou, cette idéologie ne vise aucunement à porter atteinte à l’intégrité physique de la nation ; peut-on disais-je, s’affirmer ouvertement comme « islamiste » ? Mais qu’est-ce qu’un islamiste ? Au-delà du verbiage politico-médiatique synonyme de « terroriste » ou de « barbare », un islamiste n’est rien d’autre qu’un acteur politique dont l’objectif, tel que l’entendrait François Burgat, est de pouvoir ouvertement revendiquer un « droit au parler musulman » – en somme, une perspective identitaire – et de revendiquer une part égale – pour ne pas dire supérieure, quelques fois – à la production de l’universel[1]. L’islamiste dispose d’un projet politique, assurément : il s’agit pour lui de mettre en place une société fondée sur la religion musulmane, soit de façon exclusive – dans la veine ultra-conservatrice et autoritaire – soit comme source d’inspiration parmi d’autres – dans une veine plus libérale et démocratique. Bref, la nuance est donc de mise sur cet objet. Au fond, comme l’exprime François Burgat, derrière l’arbre « (identitaire) de l’islamité », se cache la « forêt sociale et politique »[2]. L’usage du facteur identitaire-religieux par les agents permet la « reconnexion entre le référentiel de la culture musulmane et l’entier terroir de production des identités politiques. »[3] Ce faisant, selon « leur parcours éducatif et le contexte social et politique (…) les islamistes peuvent se révéler littéralistes ou libéraux, démocratiques ou autoritaires, légalistes ou révolutionnaires. Du rejet indiscriminé de la ‘‘technologie’’ démocratique occidentale (…) à la surenchère dans sa réappropriation (…) le spectre complet des attitudes et des comportements peut être observé »[4]. Ces différentes postures s’expriment principalement dans le monde Arabe ou l’islam est un référent culturel et politique légitime.

L’islamisme en France En France et en Occident, la traduction de l’islamisme s’opère par une différence de taille, dans la mesure ou l’islam, religion nouvelle et minoritaire, ne peut prétendre à la légitimité politique ; la question ne devient donc plus celle de la prise du pouvoir, mais plus trivialement de la persévérance et la préservation du « fait islamique » en terre dite « étrangère ». De cette problématique, deux grandes orientations se dégagent : l’une que je qualifierai de tendanciellement « loyaliste » (loyalty) cherchant à essayer de trouver des moyens de conciliation entre un islam qui se veut « orthodoxe » et l’environnement franco-occidental – il s’agit ici de la veine ramadanienne et frériste[5] ; l’autre, davantage portée vers des formes de « rupture » relative (exit) avec le monde franco-occidental[6] – la veine salafiste par exemple, ou ‘‘nawawiste’’ en l’espèce, j’y reviendrai. Surveiller et punir : mésinterprétations et étiquetages Ceci étant dit, la presse annonçait hier matin la dissolution immédiate d’une maison édition musulmane, ‘‘Nawa éditions’’, parce que sa ligne éditoriale serait « clairement anti-universaliste et en contestation directe des valeurs occidentales » d’une part, d’autre part, parce qu’elle publierait des ouvrages « légitimant le djihad »[7]. Que la ligne éditoriale soit plus ou moins « anti-occidentale », cela est vrai. Elle se veut volontairement provocatrice, critique et oppositionnelle, comme l’indique Abu Soleiman Al-Kaabi :

« Notre ligne se résume à contester l’universalisme occidental, c’est-à-dire l’ensemble des « valeurs » et idéologies politiques imposées comme universelles et incontestables à notre époque. Cette critique s’accompagne d’une analyse sur le processus de sécularisation occidentale et l’ensemble de ses conséquences sur les populations musulmanes, tout en proposant un contre-modèle musulman qui répondrait aux défis actuels. Ce contre-modèle de civilisation se doit de résoudre les maux soulevés par le modernisme. (…) Concernant la France, nos ouvrages dénoncent par exemple la permanence des rapports de domination des musulmans, que ce soit envers les élites de gauche, que de droite. La droitisation récente de la société française a poussé certains à revendiquer la soumission des musulmans à l’extrême droite. J’avoue que c’est original et que ça diversifie un peu l’offre de larbinage, mais ce n’est pas la solution. »[8] Et à ce titre, cette ligne éditoriale ne se distingue pas vraiment d’autres courants d’extrême gauche ou d’extrême droite partageant en commun un regard critique sur la modernité, les Lumières et l’Occident de façon générale. Quant à l’accusation de « promotion du djihad », pour avoir lu et étudié de long en large dans le cadre universitaire[9] l’ensemble de leurs ouvrages, articles et conférences, je ne trouve nulle trace d’une telle allégation lourde de conséquence. Il est vrai que parmi les thématiques de cette maison d’éditions figure la polémologie et l’Histoire, cependant, cette première est soit abordée de façon ultra-théorique en discutant des auteurs de stratégie militaire par exemple (Clausewitz, Mao, Galula, etc.)[10] ; soit, cette dernière est abordée de façon apologétique dans le cadre de la narration historique comme c’est le cas du livre Sayfollah d’Abu Soleimain Al-Kaabi. Il explique en ce sens : « C’est après la lecture de l’ouvrage de Mustapha Tlass (Sira Khalid ibn al-Walid), que m’était venue l’idée d’écrire en français la biographie du célèbre conquérant. Les conquêtes musulmanes furent exceptionnelles tant par leur fulgurance, le talent des généraux qui ont conduit ces campagnes, ainsi que le génie du projet islamique qui a totalement bouleversé l’ordre mondial existant à l’époque. »[11] A peine âgé de 25 ans au moment de la rédaction, le livre est marqué par l’intrépidité de la jeunesse, le franc-parler et l’insouciance, la fièvre et le romantisme des premières révoltes : « Ce texte doit (…) être replacé dans le contexte dans lequel il a été écrit. L’Islam médiocre et postcolonial était la seule offre sur le marché du livre musulman en 2008. Les conquêtes islamiques étaient l’un des thèmes favoris du verbiage antimusulman. Le discours accusateur maintenait les musulmans dans l’intimidation. Ils se voyaient contraints de justifier le passé, répondre aux accusations selon lesquelles ‘‘l’expansion de l’Islam s’était faite par la violence’’. Ce complexe par rapport à l’histoire maintenait les Musulmans dans une forme de domination mentale. »[12]

Aux discours accusateurs, maintenant un sentiment de honte, d’infamie, de déshonneur chez les « musulmans », devait répondre un « discours islamique » qui, contrairement aux offres « médiocre(s) et postcolonial(s) » des uns et des autres agents concurrents, assumerait son passé avec fierté. Bref, retourner le stigmate donc. Albert Memmi notait pertinemment que : « le colonisé en révolte commence par s’accepter et se vouloir comme négativité. Cette négativité, devenant un élément essentiel de sa reprise de soi et de son combat, il va l’affirmer, la glorifier jusqu’à l’absolu. Non seulement il accepte ses rides et ses plaies, mais il va les déclarer belles. »[13] Le colonisé, comme le descendant de colonisé se pensant comme tel et qui vit, de manière réelle ou imaginaire, sa situation comme héritage d’une plaie encore ouverte, reproduit dans la révolte ce schéma de la négativité, de l’antithèse. Et telle est au fond l’une des intentions de l’auteur sur l’ensemble de son œuvre : redonner le sentiment de dignité et d’honneur à un groupe social qui l’avait perdu dans le contexte d’une situation (jugée) de domination, en acceptant totalement ou en partie la critique de l’adversaire pour en faire un atout et une fierté : « En abordant de front le thème des conquêtes militaires, j’avais donc pour objectif de détruire le discours mielleux et justificateur, pour que les musulmans assument leur histoire et revendiquent fièrement l’héroïsme guerrier de leurs prédécesseurs. »[14] On comprend en ce sens, que l’une des thématiques éditoriales de cette maison d’édition ait pour sujet les questions de « stratégie » et de « conquête militaire », avec en l’occurrence, Sayfollah (2008) et La conquête de l’Egypte (2015), soit seulement deux ouvrages en vérité ; et ou, ni dans l’un, ni dans l’autre, il n’est fait mention de façon directe ou indirecte d’apologie ou d’invitation au djihad et au terrorisme. Pis, les groupes dits djihadistes contemporains y sont au contraire critiqués car infidèles au modèle prophétique, contre-productifs politiquement et stratégiquement inopérants. Comme il l’écrira longuement par la suite dans son Histoire politique de l’islam (2016) : « L’intérêt ultime de l’étude du modèle prophétique et des lois générales qui peuvent en être déduites est de pouvoir évaluer, à l’aune de ces principes, la stratégie adoptée par les mouvements djihadistes à notre époque. Or, si nous observons ces mouvements de toutes tendances, révolutionnaires ou combattants, qui se sont donnés pour but de restaurer la puissance du monde musulman, il apparait qu’ils ne respectent aucunement ces principes de la Sîra du Prophète, ou pire, qu’ils en ont même renversé l’ordre des priorités à tel point qu’ils représentent l’exact contraire du modèle prophétique en termes de projet politique et de stratégie. »[15] La démarche dite ‘‘djihadiste’’ peut donc être compréhensible pour nos auteurs en tant que désir de restauration de la civilisation et de l’indépendance musulmane dans le monde arabo-musulman, mais absolument stérile et funeste sur le plan politique de façon effective, d’où la nécessité de sa critique – Aissam Ait Yahya par exemple n’hésitera pas à qualifier Deash de « stalinisme de l’islam »[16].

Des intellectuels ‘‘islamistes’’ critiques Je ne rentrerai pas dans la question des accointances idéologiques éventuelles entre cette maison d’éditions et la vision jihadiste – elle demanderait trop d’explications, notamment sur ce que j’appelle le « jihadisme sans jihad » ou « jihadisme quiétiste ». Tous ce que je peux en dire, c’est que la mouvance nawawiste peut aisément être qualifiée d’« islamiste ». Sur ce point, Ait-Yahya ne rejette pas l’appellation, et en explique les tenants et aboutissants : « Proposons une bonne définition d’islamiste non honteuse et non diffamatoire : Musulman pratiquant qui s’accorde le droit et la liberté de penser, de critiquer le monde qui l’entoure selon une perception islamique. Il pense la politique (relation de pouvoir/organisation et système de contrôle) en utilisant une grille de lecture et d’analyse musulmane, issue de l’Islam, sa culture et son histoire. Un ‘‘islamiste’’ en terre musulmane réfléchit et adhère à l’idée de créer un modèle politique et social, cohérent et pertinent avec cette histoire et culture. Il combat donc l’acculturation occidentale, son universalisme imposé qui dans ses formes principales, n’est pas autre chose qu’un nouvel impérialisme politique et un néo-colonialisme culturel. Vous l’aurez compris : l’islamisme et les islamistes ainsi définis sont en Occident la figure du ‘‘mal absolu’’ car ils cherchent avant tout à s’émanciper de l’hégémonie occidentale et de ses tutelles, et remettent en cause ses diktats de civilisation, hérités de la colonisation. Et très souvent, ils sont considérés comme d’autant plus dangereux et intolérables que leurs motivations et espace de lutte se situent dans le champs intellectuel et idéologique : là où se forment et se construisent justement les systèmes de domination et leurs légitimités dans la conscience et le cœur des hommes. »[17]

L’auteur se considérant pleinement français, se veut, du fait de son identité décomplexée, intégralement critique, en tant que citoyen à part entière. Dès lors, retournant l’historique questionnement de l’islam de France posée par Tariq Ramadan en 1999[18], il interroge : « La question que l’on peut tous légitimement se poser (…) est : ‘‘Mais comment peut-on encore être musulman ?’’ Entendons-nous bien : comment peut-on encore être un musulman, croyant et pratiquant un Islam orthodoxe, lorsque l’on est né et que l’on vit en France au vingt-et-unième siècle ? (…) Or, l’autre réponse serait au contraire de se dire : comment en France peut-on ne PAS être ce ‘‘musulman identitaire’’ ? »[19] A la différence de Tariq Ramadan et de l’islam de conciliation (loyalty) qui cherchaient à se demander comment concilier l’environnement social européen et occidental et trouvaient comme réponse une issue favorable à telle opposition, tant du côté des références occidentales que musulmanes ; Ait-Yahya et les seins se demandent : « qu’est-ce qui peut empêcher à l’heure actuelle, un citoyen français de conviction musulmane à retrouver dans un Islam authentique et décomplexé, le sens suprême satisfaisant à toutes ses interrogations, doutes perceptions et conclusions ? »[20] En ce sens, il s’agit de mettre en question l’ordre existant en le mettant en perspective vis-à-vis de leurs propres situations de minoritaires et de la définition de soi qu’ils se donnent. Dès lors, nos deux auteurs entrent de pleins pieds dans cette catégorie d’intellectuels dits « critiques », dont parle Geoffroy de Lagasnerie, c’est-à-dire des intellectuels dont la « fonction » est de produire une connaissance déstabilisatrice, « dysfonctionnelle » du monde dans son mode de production et de reproduction de l’ordre social, et qui précisément, met à jours des « écarts » entre ce que sont réellement les individus, et ce qu’ils leurs aient demandé d’être ou de faire[21]. Et pour preuve, le questionnement inaugural de « l’islam de France » devient sous la plume d’Ait Yahya une interrogation négative, un retournement de la question sous forme critique, voire ironisée, à partir de sa propre définition de soi et du groupe social auquel il appartient faisant valeur de barycentre du jugement théorique et politique : « Comment le musulman d’affirmation qu’il est, peut-il ne pas être, de manière effective, ce musulman d’affirmation qu’il souhaiterai être en France, terre supposée de liberté, d’égalité et de fraternité ? ». A partir de cet écart entre certains éléments du monde social et le soi individuel et collectif, se construit toute une critique dudit monde social et de la violence qu’il exerce sur la minorité musulmane dont il fait partie : « Ce qui est violent et problématique dans une société, écrit Geoffroy de Lagasnerie, c’est l’écart entre la façon dont nous sommes traités et la réalité de ce que nous sommes (…). C’est cet écart-là qui produit de la violence. Connaître le monde social, c’est objectiver cet écart…et c’est donc eo ipso révéler de la violence et de la répression. »[22] « Violence » et « répression » que s’évertuent pleinement à dévoiler Ait Yahya et Al-Kaabi, notamment sur la question de la « laïcité » et du volet « géopolitique » de l’islam. Dans une logique de retournement du stigmate et d’affirmation de soi, il s’agit donc de poser de fait et en droit que le « problème » ne vient pas de soi, mais de l’Autre, et plus précisément, ne vient pas des « victimes » mais bien des « bourreaux », des « dominants ». C’est accepter qu’il y a problème, qu’il y a violence, qu’il y a écart, mais que cet écart et cette violence, proviennent des structures dominantes du monde social, du pouvoir et des élites, et plus largement de la société et son histoire en général, et non pas de cette minorité conspuée prenant légitimement ce droit d’être ce qu’elle est, c’est-à-dire une minorité d’affirmation[23] : « Avec cette méthodologie, ce sont toutes les certitudes de ces inquisiteurs qui vont se retrouver elles-mêmes questionnées. Car c’est répondre en déstructurant en amont les propres convictions qui servent de cadre d’analyse à ces interlocuteurs interloqués par la foi musulmane et l’Islam. L’un des buts sous-jacents de cet ouvrage, sera donc de dévoiler comment ce musulman français (surtout d’origine maghrébine), actif dans sa foi, fier de son héritage cultuel et culturel, sans aucun sentiment de culpabilité de l’aliéné postcolonial complexé, peut apporter des réponses concrètes aux questionnements issus de cet environnement hostile dans lequel il se retrouve plongé. »[24] Il s’agit donc d’interroger la « totalité », de porter une critique sur la « totalité » et à partir de la « totalité » du monde social dans lequel est immergée ladite minorité. Tel ou tel « objet » particulier étant toujours intégré à une totalité plus grande qui donne sens à la critique lui assurant une portée généralisatrice. « Laïcité », « démocratie », etc., participe d’une même essence qu’il convient de rejeter et combattre : la « Modernité occidentale sécularisée ».

Peut-on être islamiste en France ? Ce que souhaite l’auteur de De l’idéologie islamique française donc, c’est de pouvoir in fine rendre la « contestation musulmane » enfin légitime, ici, en France ; de pouvoir « être musulman français sans adhérer pour autant à la laïcité ou toute autre idéologie en contradiction, pas seulement avec l’identité islamique, mais n’importe quelle autre opinion personnelle »[25] à la manière d’un anarchiste, d’un communiste ou d’un royaliste par exemple : « Ainsi on remarque bien que la citoyenneté version Tarik Ramadan ou version Alain Soral est sensiblement la même : l’arabo-musulman citoyen doit montrer patte blanche, plus blanche que le reste des citoyens, pour soit être « intégré » ou soit pour être « patriote ». Ce que certains imams-prédicateurs nous martèlent aussi avec leur compréhension viciée et sans ‘izza du « montrer le bon exemple » : le bon exemple « islamisé » de citoyen soumis qui rejoint finalement le vieil ancien bon exemple de nos pères immigrés souriant et toujours serviable…Qu’est ce qui change au final ? Absolument Rien, mais chez certains leaders d’opinion, l’optimisme naïf se nourrit de n’importe quel ridicule fait-divers « positif » en éludant les évolutions sociétales clairement antimusulmanes, et les autres mouvements de fonds, du genre tel mairie a finalement accordé un permis de construire pour une mosquée ou Lindsay Lohan lit le coran « #leschosesavancent ». Ma conception de la citoyenneté est tout autre, si toutefois elle existe vraiment pour nous : elle est totalement différente et décomplexée et se veut « expérimentale » car elle se mesure justement par l’utilisation maximale de son droit à la critique et à la subversion ! C’est aussi comme ça qu’on la mesure réellement, et que l’on est capable de dire si elle existe vraiment, ou bien alors si elle n’est qu’un odieux mensonge de plus ! Mais là, sur ce créneau, il n’y a pas beaucoup de monde pour tester la réalité de cette citoyenneté. Notre expérience, la réalité que nous vivons tous, les faits-divers et affaires d’État, nous montrent déjà où se trouve la vérité. En plus de nous dire qui est le proche de cette vérité, qui est le naïf et qui est le menteur manipulateur. Alors certes, l’adjectif radical sera utilisé pour mes positions et mes conclusions (en attendant le jour d’être contredit par les faits et par des idées). »[26] [Nous avons souligné, N.D.A]

Le droit à la « radicalité islamique » sera donc la vérité de l’intégration et de la citoyenneté ; c’est en usant au maximum de son droit à la contestation que la légitimité à l’existence sociale – du ‘‘musulman’’ en l’occurrence – se dévoilera dans sa pleine vérité. Or, explique Ait-Yahya : « Peu importe, pour les autorités et l’opinion public, si un Charles François-Marie De la Cour Neuve, se revendiquait comme un fervent catholique et monarchiste, considérant la République et la laïcité comme une abomination maçonnique (…) on pourra même qualifier sa congrégation religieuse de ‘‘ catholique intégriste’’ mais folklorique, car appartenant de toute façon au terroir français. Preuve tacite des privilèges exclusifs du bon gaulois… Mais pour le musulman il en sera autrement (…) Dès lors qu’un Charles François-Marie De La Cour Neuve ne soit pas logé à la même enseigne que Momo des Trois-milles de la Courneuve, ne nous a jamais étonné »[27] Ce que le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin semble désormais entériner de façon explicite, confirmant ainsi tous les préjugés et affects négatifs que peuvent se faire un pan non négligeable de cette dite minorité.


Ainsi, vouloir fermer une telle association c’est, d’une part, mettre de la lumière sur un groupe absolument résiduel ; mais surtout d’autre part, alimenter encore plus (et à juste titre désormais) le sentiment de persécution, de privation de liberté et d’injustice pour le ‘‘musulman’’ se voulant, à tort ou à raison, ‘‘musulman d'affirmation’’. La censure, la mise sous-silence et la pénalisation de l’opinion sont non seulement des trahisons des principes politiques les plus nobles de la modernité ; mais pis encore, il n’y a rien de plus stratégiquement stérile voire néfaste dans la gestion de ce qui est considéré, à juste titre ou pas, comme une « menace ». Il ne faut pas oublier ce que disait sagement Raymond Aron jadis à propos d’Alain de Benoist : « Ceux qui détestent les idées d’Alain de Benoist doivent les combattre par des idées, non par des bâtons ou du vitriol. » On le sait, cette mesure n’a en vérité qu’une portée politique immédiate en vue des futures élections puisqu’il s’agit de tenir la dragée haute à Zemmour et Le Pen, mais tout de même, les principes comptent aussi en politique, et sous-estimer les conséquences à long terme de ce genre de décision est tout sauf judicieux.

[1] François Burgat, L’islamisme à l’heure d’Al-Qaida, La découverte, Paris, 2010 ; sur la question du ‘‘droit supérieur de produire de l’universel’’, voir : Abu Soleyman Al-Kaabi, Le Califat d’Adam, Nawa, 2015 [2] François Burgat, L’islamisme à l’heure d’Al-Qaida, La découverte, Paris, 2010, p.30 ; à la différence près que je considère que cet « arbre » religieux a un impact réel sur cette « forêt » et n’est pas qu’un simple réceptacle vide en attente de remplissage par les facteurs socio-politiques. [3] Ibid. [4] Ibid. [5] Tariq Ramadan, Être occidental et musulman aujourd’hui, Archipoche, Paris, 2016 ; Tariq Ramadan, Les musulmans dans la laïcité, Tawhid, Lyon, 2013 ; Tariq Ramadan, Mon intime conviction, Archipoche, Paris, 2009 [6] Sur les notions de loyalty et d’exit, voir Albert O. Hirschman, Exit, voice, loyalty, Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles, 1995 [7] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/gerald-darmanin-veut-dissoudre-une-maison-d-edition-legitimant-le-djihad-20210917?fbclid=IwAR2vkhV9LU0wdm3emMO-wBxmZM6VtDFgfX5mwUaRNovIO__ktWpuPBSJ7YI [8] https://editions-nawa.com/smartblog/35_A-Soleiman-Al-Kaabi--Nous-avons-la-convict.html [9] Zine-Eddine Gaid, Qu’est-ce qu’un intellectuel musulman « radical » français ?, Éditions Le Discernement, Paris, à paraître. [10] Abu Soleiman Al-Kaabi, La conquête de l’Égypte, Nawa, 2014, p. 257-271 [11] Abu Souleiman al Kaabi, Sayfollah. La vie de Khaild ibn al-Walid, Nawa, 2014, p. 4 [12] Ibid. [13] Albert Memmi, Portrait du colonisé, portrait du colonisateur, Gallimard, Paris, 1985, p.152 [14]Abu Souleiman al Kaabi, Sayfollah, opus cité, p.5 [15] Abu Soleyman Al-Kaabi, Histoire politique de l’islam, tome 1, Nawa, 2016, p.580 [16] Aissam Ait-Yahya, Textes et contextes du wahhâbisme, Nawa, 2015 [17] https://www.facebook.com/EditionsNawa/posts/1908999605915889 [18] « Comment être musulman en Europe [et en France, N.D.A] ? », Tariq Ramadan, Les musulmans dans la laïcité, Tawhid, Lyon, 2013, p.19 [19] Aissam Ait-Yahya, De l’idéologie islamique française, Nawa, 2011, p.15 [20] Ibid., p.16 [21] Geoffroy de Lagasnerie, Penser dans un monde mauvais, PUF, Paris, 2017 [22] Ibid., p.60 [23] Aissam Ait-Yahya, De l’idéologie islamique française, opus cité, p.16 [24] Ibid., p.17 [25] Ibid., p.258 [26] Aissam Ait-Yahya, « L’islam militant, passé et présent », https://editions-nawa.com/smartblog/90_Islam-militant-passe-et-present.html [27] Aissam Ait-Yahya, De l’idéologie islamique française, opus cité, p.252

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