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Sur le maître, l’élève, l’autorité et le respect


Il est souvent fait mention de la difficulté de pouvoir enseigner en dite ex-zone d’éducation prioritaire, surtout dans des « quartiers sensibles », où se concentrent des populations paupérisées et immigrées. Au-delà de la seule et simple désinvolture supposée « naturelle » des élèves, on ne peut pas ne pas aussi prendre en compte le décalage social parfois abyssal entre des jeunes enseignants – souvent peu ou mal préparés au métier – issus de milieu sociaux différents – appartenant souvent aux classes moyennes n’ayant jamais mis les pieds jusque-là en cité –, et l’origine sociale des élèves – appartenant aux classes populaires. Le « respect » ne se fonde pas sur la seule force de l’autorité symbolique et physique de l’institution ou de celui qui en est membre – et ce plus encore lorsqu’« en face », une culture de défiance et d’opposition vis-à-vis des institutions imprègne les psychés. Le respect nécessite parfois – et malheureusement – une forme de « reconnaissance » et de « lutte pour la reconnaissance »[1], entre la figure censée incarner – à tort ou à raison – l’instance d’autorité (le maître) et la figure censée subir celle-ci (l’élève). Le respect de la figure du maître est une sorte de mimésis ou de continuité dérivée de la figure de l’autorité parentale (père ou mère) – l’école et le maître constituent (ou constituaient jadis) en ce sens des pôles d’identifications primordiaux, nécessaire à la bonne constitution du narcissisme secondaire[2]. En ce sens, le respect est aussi fondé sur une espèce de « similitude d’éthos »[3], en l’occurrence, une similitude d’éthos de classe social – bien plus que d’origine culturelle. Comme l’explique le sociologue Stéphane Beaud au sujet de l’équipe de France de football de 98 :


« Le respect des Bleus de 1998 pour Aimé Jacquet (comme d’ailleurs Roger Lemerre) est largement fondé sur une similitude de l’ethos de classe de leurs propres pères et de celui de ‘‘Mémé’’ (surnom de Jacquet), fruit des mêmes conditions socio-historiques de production des habitus en milieu populaire dans les années d’après-guerre. Les joueurs en milieu populaire – Deschamps, Blanc, Petit, Zidane, Thuram, etc. – n’ont ainsi pas eu grand mal à se reconnaître dans les valeurs inculquées par Aimé Jacquet ; ce sont en effet strictement les mêmes que celles que leurs parents (père ou mère) se sont efforcés de leur transmettre dans leur enfance : centralité du travail, apprentissage du goût de l’effort, sens des économies, rectitude morale, refus du chacun pour soi et sens du collectif, respect des institutions, amour de la patrie. »[4]

L’écart d’éthos entre élèves et enseignants, parfois trop éloignés sociologiquement les uns des autres, peut en partie expliquer certaines tendances à la désinvolture et l’arrogance, fondées sur un décalage et une incompréhension mutuelle du fait d’univers sociaux complètement différents. Il devient incompréhensible pour certains enseignants qu’un élève puisse ne pas désirer « apprendre », faire du « chahut », « bavarder », « ne pas travailler », etc. Or, précisément, à l’ensemble de ces inconvenances doit pouvoir répondre un redoublement de l’autorité et de l’intransigeance, que seul le « charisme », non pas naturel, mais socialement généré par un habitus de classe, et adéquat à tel ou tel milieu social, peut incarner. Issus majoritairement de l’immigration maghrébine et subsaharienne, donc de structure familiale (normalement) de type semi-autoritaire et communautaire, où la figure du père a une place importante, ces élèves doivent pouvoir trouver dans l’institution elle-même, des pères de substitutions. Il n’est pas hasardeux si pour certains descendants d’immigrés, les relations avec tels ou tels entraineurs de football, de boxe, tels ou tels animateurs socio-culturels ou autres – et ce, peu importe leurs origines ethno-culturelles (et nous insistons) – soient parfois beaucoup plus pacifiées, pour ne pas dire pleines d’affections, que celles vis-à-vis de leurs professeurs – et précisément, ces personnes représentent des ‘‘frères’’, des ‘‘oncles’’, des ‘‘pères’’ de substitution. Car au-delà de la seule différence de discipline et ses enjeux – l’une ludique, l’autre scolaire –, ce qui différentie ces deux figures d’autorités, c’est aussi les origines sociales des uns et des autres. Les entraineurs et animateurs étant en règle générale eux-mêmes issus de classes populaires ou moyennes inférieures, connaissant ce type de population et ce type d’environnement résidentiel et social, ne sont pas moins conciliants avec leurs petits protégés. Bien au contraire, ils sont souvent plus exigeants et autoritaires avec eux, ne les ménageant aucunement, les traitant à égale-mesure et désirant ardemment leur réussite, d’un désir flirtant avec l’amour. D’un amour que les enfants ne peuvent pas ne pas ressentir également en retour, se traduisant en termes socialement plus convenues sous la forme du respect – pour ne pas dire de la gratitude.

[1] G.W.F. Hegel, Phénoménologie de l’Esprit, GF Flammarion, Paris, 2012 ; Axel Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Gallimard, Paris, 2013 [2] Le narcissisme primaire étant normalement dévolue aux parents par l’identification primaire, voir : Bernard Stiegler, Prendre soin. De la jeunesse et des générations. Flammarion, Paris, 2008 [3] Stéphane Beaud, Traître à la nation, La découverte, Paris, 2011, p.106 [4] Ibid.

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