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Zemmour et la construction de l’ennemi


Voici un extrait du livre Réflexions sur la question musulmane, de Zine-Eddine Gaid, tiré du chapitre « D’un littéralisme l’autre. Zemmour, le salafisme et l’apocalypse ». Pour se procurer le livre :https://www.amazon.fr/R%C3%A9flexions-question-musulmane-Zine-Eddine-Ga%C3%AFd/dp/B09M671NWR/ref=tmm_pap_swatch_0?_encoding=UTF8&qid=1638807468&sr=1-1. Ou :https://www.librinova.com/librairie/zine-eddine-gaid/reflexions-sur-la-question-musulmane (…) Zemmour et la construction de l’ennemi


Que fait-il notre Saint Zemmour, finalement ? Il construit la figure d’un « Musulman » conceptuel, abstrait, idéel – d’un idéal nécessairement « radical », « islamiste », « salafiste », « dévastateur », « colonisateur » et « comploteur ». Un universel sous lequel il fera subsumer tous musulmans particuliers, concrets, réels. Jadis, un autre grand esprit s’était déjà essayé à ce genre d’orchestration. Avec succès. Il expliquait que son peuple était menacé de l’intérieur par un autre peuple, un anti-peuple, une « cinquième colonne », complotant contre les intérêts des autochtones, contaminant leur sang, pervertissant leurs mœurs et traditions, les menaçant directement dans leur être. Il s’agissait d’une question de vie ou de mort. Alors, moindre mal oblige, il fallait trouver une « solution » à ce « problème » qui fut auparavant « question ». Misère, quel vilain esprit sommes-nous, avoir osé faire un parallèle entre « Musulman » et « Juif »… Pascal Bruckner va sans doute nous tirer les oreilles, lui qui nous explique que : « Les Juifs forment un peuple avant de former une religion : l’antisémitisme est par essence racialiste, il ne conteste pas le judaïsme en tant que croyance mais les Juifs pour ce qu’ils sont. »[1] Assurément. Nous lui ferons juste rappeler que l’antisémitisme racial hérite pour beaucoup de l’antijudaïsme religieux antique et chrétien qui, lui aussi, a son lot de sang sur les mains. De plus, si l’antisémitisme est un racisme, le judaïsme en tant que culture religieuse devient par la même engendrement « naturel » du Juif – en tant que culture et nature sont le même –, et donc détesté comme tel parce que provenant d’une « race » impure – Eichmann connaissait très bien le judaïsme à ce titre. Poursuivant dans ses développements hautement philosophique, Bruckner écrit : « En outre, dans les années 30, les Juifs ne jetaient pas des bombes sur toute la surface du globe au nom du vrai Dieu ». Les Musulmans eux – sans distinctions – en revanche ‘‘jettent’’ effectivement des bombes sur toute la surface du globe. Bien-sûr, les Juifs ne « jetaient pas de bombes » rependant la mort et le chaos autour d’eux comme peuvent le faire les Musulmans, en revanche ils étaient accusés de spolier la nation allemande par leurs réseaux financiers occultes, de sarcler les traditions ancestrales, d’infecter le sang aryen :


« Les conflits et la haine qui déchirent le peuple sont alimentés par un groupe spécifique qui en tire profit. Il s’agit d’une petite clique internationale, dépourvue de racines, qui montent les gens les uns contre les autres, qui ne veulent pas qu’il soit en paix. Il s’agit d’un peuple qui est chez lui à la fois partout et nulle part. Il ne possède pas un territoire sur lequel il a grandi. Cependant, aujourd’hui il vit à Berlin, demain ce sera à Bruxelles, après-demain à Paris, à Prague, à Vienne ou à Londres. Et partout, il se sent chez lui – » Les Juifs ! » (Cri dans la salle). C’est le seul peuple qui peut se considérer comme cosmopolite, car il fait du profit partout. »[2]

Bruckner répondra sans doute ici que : « Oui, mais justement, ce que dit Hitler est totalement faux et délirant ! » Et effectivement, ça l’est, délirant, faux et mensonger. Pourtant, le Führer et ses acolytes y croyaient dur comme fer, ils avaient des « preuves ». Nier l’évidence du « complot juif », c’était être un « bien-pensant » – pour utiliser une expression moderne –, un « judéo-bolchévique », un « idiot utile » de la « juiverie mondiale » (Weltjudentum) – même de brillants esprits comme ceux de Heidegger, Jünger et Schmitt en étaient convaincus. Aucune croyance n’est fondée « sans raison », c’est même l’inverse : ce sont les « raisons de croire », absolument rationnelles, qui alimentent et légitiment davantage le fait d’adhérer à telle ou telle idée, nous expliquait Raymond Boudon[3]. Sauf que, toutes les formes de rationalités ou arguments rationnels ne sont pas nécessairement vrais quand bien même ils aient l’apparence de la cohérence logique ou de la preuve empirique. Et ce pis encore lorsque la croyance est alimentée par le fantasme, l’imaginaire, la caricature terrifiante et dégoutante, la psychose et la paranoïa ; jadis, à l’antijudaïsme religieux classique, on ajoutait, ci et là, que les Juifs tuaient les enfants dans leurs rituels, qu’ils empoisonnaient les puits et autres délices du genre. Un petit mensonge ou deux, ça ne fait pas de mal. Aujourd’hui, on entend parfois un tel affirmer que les musulmans empêcheraient les jeunes gens de manger des pains au chocolat pendant le mois de ramadan ; de s’assoir à la cantine aux côté des « mécréants » ; qu’ils voileraient les fillettes de trois ou quatre ans ; qu’ils imposeraient des certificats de virginité à leurs filles ; qu’ils constitueraient des enclaves territoriales dans leur quartier, entièrement régit par la Shari’a, avec des enfants envoyés dans des hangars pour être endoctriné dès l’âge de trois ans, etc., etc.[4]. Ou l’imaginaire au pouvoir.

Éric Zemmour donc, de poursuivre dans ses œuvres :


« Nous sommes ainsi pris entre l’enclume et le marteau de deux universalismes qui écrasent nos nations, nos peuples, nos territoires, nos traditions, nos modes de vie, nos cultures : d’un côté, l’universalisme marchand qui, au nom des droits de l’homme, asservit nos cerveaux pour les transformer en zombies déracinés ; de l’autre, l’universalisme islamique qui tire profit très habilement de notre religion des droits de l’homme pour protéger son opération d’occupation et de colonisation de portions du territoire français qu’il transforme peu à peu, grâce au poids du nombre et de la loi religieuse, en enclaves étrangères, en ce que l’écrivain algérien Boualem Sansal, qui a vu les islamistes en Algérie opérer ainsi dans les années 80, appelle des “Républiques islamiques en herbe”. (…) Ces deux universalismes, ces deux mondialismes, sont deux totalitarismes. (…) Nous vivons sous le règne d’un nouveau pacte germano-soviétique. Nos deux totalitarismes s’allient pour nous détruire avant de s’entre-déchirer ensuite. C’est leur objectif commun, leur Graal. Aux libéralistes droits-de-l’hommistes, les métropoles. À l’islam, les banlieues. Les uns servent pour l’instant de domestiques aux autres : livreurs de pizza, taxis, nounous, cuisines de restaurant et drogues. Les autres protègent leurs domestiques de leurs pouvoirs médiatique et judiciaire contre la détestation sourde de ce peuple français qu’ils vomissent, les uns et les autres, les uns parce qu’ils sont français et pas américains, les autres parce qu’ils sont de culture catholique et pas musulmane. (…) Cette fois-ci, le vitalisme démographique africain a un drapeau tout trouvé : l’islam. L’islam qui avait déjà été le drapeau de l’Orient contre la Grèce de l’Antiquité, le christianisme, reprend du service. Ah, il n’a pas changé depuis le Moyen Âge, il est prêt à l’emploi pour nous vaincre avec nos droits de l’homme et nous dominer avec sa charia, comme disait le prédicateur al-Qaradawi. (…) L’immigration, c’était naguère venir d’un pays étranger pour donner à ses enfants un destin français. Aujourd’hui, les immigrés viennent en France pour continuer à vivre comme au pays. Ils gardent leur histoire, leurs héros, leurs mœurs, leurs prénoms, leurs femmes qu’ils font venir de là-bas, leurs lois qu’ils imposent de gré ou de force aux Français de souche qui doivent se soumettre ou se démettre, c’est-à-dire vivre sous la domination des mœurs islamiques et du halal ou fuir. Ainsi se comportent-ils comme en terre conquise, comme se sont comportés les Pieds-noirs en Algérie ou les Anglais en Inde : ils se comportent en colonisateurs. Les caïds et leurs bandes s’allient à l’imam pour faire régner l’ordre dans la rue et dans les consciences selon la vieille alliance du sabre et du goupillon, en l’occurrence la kalach et la djellaba. Il y a une continuité entre les viols, vols, trafics jusqu’aux attentats de 2015 en passant par les innombrables attaques au couteau dans les rues de France. Ce sont les mêmes qui les commettent, qui passent sans difficulté de l’un à l’autre pour punir les kouffars, les infidèles. C’est le djihad partout et le djihad pour tous et par tous. (…) Dans la rue, les femmes voilées et les hommes en djellaba sont une propagande par le fait, une islamisation de la rue, comme les uniformes d’une armée d’occupation rappellent aux vaincus leur soumission. Au triptyque d’antan ‘‘immigration, intégration, assimilation’’ s’est substitué ‘‘invasion, colonisation, occupation’’. »[5]

Nous entendons déjà au loin Bruckner nous dire : « Oui, mais là, Zemmour a parfaitement raison ! Il décrit seulement le réel tel qu’il est ! » Formidable. Quoi qu’il en soit, ce qui importe en vérité dans ce parallèle que nous faisons entre le discours d’Hitler et de Zemmour n’est pas de savoir si ce qui est dit est vrai ou pas, ni même de suggérer que le discours nazi et zemmourien seraient identiques, mais de voir comment s’élabore discursivement la « fabrique de l’ennemi ». L’« islam » – et le « Musulman » – est présenté comme une menace politique imminente, déjà à l’œuvre dans le processus de destruction de la nation française. Il est posé comme Autre radical, foncièrement exogène et doté d’une intentionnalité perverse et destructrice, de telle sorte à animer dans un sens négatif, bon gré mal gré, tout sujet s’y affiliant. Il profite des « failles » et de la « naïveté » des autochtones pour mieux conquérir et asservir ce qu’il peut s’approprier, afin de régner souverainement sur les ruines des manquements, cécités et autres lâchetés politiques de quelques élites. Combattre l’islam devient donc une question de vie ou de mort :

« Nous devons savoir que la question du peuple français est existentielle quand les autres relèvent des moyens d’existence. Les jeunes Français seront-ils majoritaires sur la terre de leurs ancêtres ? Je répète cette question car jamais elle n’avait été posée avec une telle acuité. (…) jamais son peuple n’a été menacé de remplacement sur son propre sol. (…) Ne croyez pas les optimistes qui vous disent que vous avez tort d’avoir peur. Vous avez raison d’avoir peur : c’est votre vie en tant que peuple qui est en jeu. Ne croyez pas ces optimistes qui sont comme les pacifistes de toutes les époques. Ils s’aveuglent volontairement, ils sont comme Aristide Briand, ce grand pacifiste d’après la Première Guerre mondiale qui criait ‘‘Guerre à la guerre’’ et écrivait au chancelier allemand Streisemann : ‘‘Je jette au panier tous les jours des rapports de mon état-major qui me montrent des preuves du réarmement de l’Allemagne.’’ De même nos Briand d’aujourd’hui mettent au panier toutes les collections de Coran qu’on leur apporte remplies de sourates qui donnent l’ordre d’égorger tous les mécréants, les infidèles, les juifs et les chrétiens. »[6]

L’intensité anxiogène, l’insécurité existentielle et la dimension apocalyptique sont à leur paroxysme dans la prose de Zemmour. Tout est fait pour exacerber et justifier l’effectivité à la fois spectrale et bien réelle de la menace. Celle-ci est d’ailleurs renforcée par l’analogie historique du : « aux même causes les mêmes conséquences » ; elle place l’auditeur en position de responsabilisation : « que choisissez-vous de faire ? Vivre ou mourir. » Zemmour construit ici un phénomène de « pseudo-spéciation », selon le terme du psychanalyste Erik Erikson, c’est-à-dire « le moment ou un groupe est capable de considérer les membres d’un autre groupe comme s’ils appartenaient à une espèce autre à chasser et détruire sans inhibition »[7], bref, il convient d’« altériser » et « barbariser » l’ennemi ; et cela pis encore, puisqu’il s’agit pour l’intellectuel d’une nécessité vitale, en tant que son groupe serait lui-même menacer d’une destruction certaine.

Ladite guerre à venir est donc une « guerre juste » : « Dans la guerre juste, écrit Pierre Conesa, l’ennemi se désigne lui-même par son agressivité, il ne peut donc qu’être attaqué. »[8] Éric Zemmour prétend combattre le jihadisme, en vérité, il en est leur meilleur élève, et nous ne doutons pas qu’il prenne un immense plaisir à ce petit jeu de la guéguerre ou il se voit en avant-gardiste et héros de la nation, ce grand enfant se rêvant Napoléon ou de Gaulle. Le problème dans la guerre c’est que, comme pour Péguy, à la fin, on en meurt et aucune nouvelle partie n’est possible.

[1] Pascal Bruckner, Un racisme imaginaire. Islamophobie et culpabilité, Grasset, Paris, 2017, p.99 [2] https://www.youtube.com/watch?v=8Co5ClLAxrU&t=2892s [3] Raymond Boudou, Essais sur la théorie générale de la rationalité, PUF, Paris, 2007 ; Raymond Boudon, Croire et savoir. Penser le politique, le moral et le religieux, PUF, Paris, 2012 [4] Pour un florilège non exhaustif des diverses rumeurs qui circulent au sujet des musulmans, consulter cet article : https://threadreaderapp.com/thread/1360358294032953344.html?fbclid=IwAR0SyVyRDEKxKvp3OqlwqFlr1-dMYFPxIqDAkAWgLmr5ItHNzJYDbDe8_s0 [5] Éric Zemmour, « Discours à la Convention de la Droite », le 28/09/2019, https://ripostelaique.com/texte-integral-ce-qua-vraiment-dit-eric-zemmour-a-la-convention-de-la-droite.html [6] Ibid. [7] Pierre Conesa, La fabrication de l’ennemi. Ou comment tuer avec sa conscience pour soi, Robert Laffont, Paris, 2011, p.44 [8] Ibid., p.61


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